mercredi 24 septembre 2014

Retour aux sources : Schwarzwald, une introduction

J'ai beau être né en Auvergne, je n'ai pas connu cette région du centre de la France - les joies des mutations militaires. Ainsi, j'ai passé ma prime jeunesse dans la région d'origine de ma mère, la chance ayant voulu que mon père y soit muté à nouveau peu après ma naissance. Je dis chance non pas parce que la perspective de vivre en Auvergne soit assommante, mais parce que ça m'a permis de tisser des liens avec la Forêt Noire, qui n'aurait été autrement qu'un lieu de visite occasionnel pour aller voir mes grands-parents, et ça, c'eut été bien dommage. Car la Forêt Noire - Schwarzwald dans la langue de Goethe - est une région magnifique d'où je suis très heureux de tirer mes racines. Déjà parce que la bouffe est délicieuse, notamment sa charcuterie variées et souvent fumée au bois de conifère (contrairement à la plupart des viandes fumées, ce qui lui donne ce goût inimitable. Je plaisante pas, le Jambon de Forêt Noire est une appellation protégée). Sérieusement, les saucisses et le Speck du Schwarzwald c'est Versailles dans ta bouche.

Et je ne parlerai pas plus que nécessaire de la célèbre Forêt Noire, celle qui se mange (et qui contient une autre de nos spécialités, le Kirsch) (Du schnaps, donc). Je me contenterai donc de rappeler à tous à quoi ressemble ce gâteau aimé de tous, qui contient tout ce qu'il faut pour se goinfrer (crème chantilly, chocolat, cerises, schnaps de cerise, encore plus de chantilly...) :


Mais derrière le cliché de ce gâteau d'alcoolo, la Forêt Noire est un endroit qui mérite qu'on y jette les deux yeux. D'habitude, les étrangers, quand on leur parle du Sud de l’Allemagne, pensent surtout à la Bavière - et plus particulièrement à l'Oktoberfest et à Neuschwanstein. Et c’est souvent déjà bien quand on en arrive là. J'ai remarqué, en discutant avec mes divers groupes d'amis que peu avaient une idée ne serait-ce que générale de la géographie allemande, et que quand je parlais de Forêt Noire à des Islandais ou à des Finlandais, c'est bien le gâteau qui leur venait à l'esprit. Il me faut essayer de corriger cela :
Une Forêt Noire. (source)

Car le Schwarzwald c'est aussi une région superbe et riche (aussi bien culturellement que pécuniairement, d'ailleurs) :
Ce qui reste de ce qui fut autrefois l'une des plus vastes forêts d'Europe.
La Forêt Noire, c'est un massif montagneux du sud-est de l'Allemagne qui borde la plaine du Rhin. En gros, c'est l'équivalent allemand des Vosges - et la ressemblance est souvent frappante lorsqu'on passe dans les régions boisées autour de Saint-Dié des Vosges et Épinal. Elle se trouve dans le Land du Bade-Wurtemberg mais n'a aucune existence administrative, seulement culturelle, un peu comme l'Alsace si le plan de fusion des régions françaises est appliqué. L'ensemble culturel est en fait constitué de la forêt Noire et de Baar, rassemblés dans l'arrondissement du Schwarzwald-Baar-Kreis, situé dans le district de Freiburg.

Donc quand en France les politiciens vous disent qu'en Allemagne y a moins de découpage et qu'il faut suivre le modèle allemand, repensez à ceci.

Tu vois, Islande : Ça, ce sont des arbres.
Le Schwarzwald est le massif de moyenne montagne le plus haut d'Allemagne, autant dire que j'ai donc profité dans ma jeunesse d'hivers bien froids et bien blancs, avec des routes bien encombrées au matin, comme il se doit, et des services de dégagement des voies qui savent qu'il neige en hiver, et y sont donc préparés, comme il se doit. Entre ça et le goût du fumage, je crois que toute ma prime jeunesse n'était qu'un entraînement à la Finlande.

Il est difficile pour moi d'énumérer ce que m'évoque la Forêt Noire dans un article comme celui-ci... Étant jeune lorsque j'y vivais, je ne peux pas nier qu'une certaine nostalgie puisse influencer ma vision de l'endroit lorsque j'y reviens des années plus tard. Néanmoins certaines choses sont toujours aussi prégnantes quand je passe du temps là-bas. L'odeur des sapins et des épicéas, la tendre mollesse des chemins de sous-bois recouverts d'aiguilles, la pénombre sous le couvert des branches touffues, lorsqu'on se promène entre les troncs aux rameaux décharnés, comme des mains griffues qui m'évoquent toujours l'ambiance des contes de Grimm - qui viennent d'ici, en même temps. Le son distant des coups de haches dans le bois tendre quand les arbres sont tombés, ou le vrombissement lointain des tronçonneuses qui m'arrive en échos. Le parfum des champignons qui flotte dans l'air en automne, le crissement de la neige en hiver. Le vert incroyable des prairies en été, l'explosion de couleurs quand les fleurs profitent du redoux au printemps. 

Le Hansele, une des figures emblématiques du Fasnet.
Ah, le printemps ! Quand chaque village se prépare à ressortir ses costumes de Fasnet (ou Fasnacht), le carnaval souabe-alémanique, pour des défilés aux imageries et symboliques pré-chrétiennes assumées se mêlant à la Pâques des catholiques (qui sont majoritaires dans ce coin-là d'Allemagne, contrairement à la majorité du pays). Ces costumes sont tout simplement magnifiques, colorés et spécifiques à chaque ville et village. Les masques en bois sont taillés d'une seule pièce, les gens qui les portent s'entraînent toute l'année pour ce festival du printemps. Malheureusement, depuis que je suis en Finlande, je n'ai pas pu être présent pour y assister à nouveau, mais j'espère en revoir bientôt, et si c’est le cas, je vous ferai un article rien que sur le Fasnacht. En tout cas j'y reviendrai plus tard, ça c’est certain. EDIT : Non seulement j'ai tenu ma promesse, mais c'est en fait toute une série d'articles que j'ai écris !

La nature, en Forêt Noire, est exceptionnelle. Entre les parties montagneuses et leurs falaises impressionnantes, ses forêts, évidemment, qui s'étendent à perte de vue, et ses pâturages où les vaches peuvent se mouvoir librement, on a toujours de quoi flatter son regard. Mention spéciale aux chutes du Triberg, les plus hautes chutes d'eau d'Allemagne (163 mètres, quand même !).

En hiver, les chutes n'en sont que plus belles avec la neige et la glace...
La puissance de l'eau malgré le gel...
Mais l'un des éléments caractéristiques du paysage de Forêt Noire, et que même la ressemblance vosgienne ne saurait tromper, c'est l'architecture typique des fermes, lesquelles se retrouvent partout et donnent cette patte au Schwarzwald :

On peut difficilement faire plus Schwarzwald, là...
Ces fermes sont énormes, puisqu'on y vivait avec toute la famille, les travailleurs saisonniers, et les bêtes. Aujourd'hui, la plupart sont reconverties en fermes-auberge et hôtels, pour le plus grand plaisir des touristes. L'énorme surface de toit est de plus en plus exploitées par la pose de panneaux solaires, qui s’intègrent assez bien à la structure puisque les tuiles sont généralement noires de toute façon.

Des fermes équipées de panneaux solaires.
Outre l'exploitation forestière, la Forêt Noire est surtout une région agricole, et il suffit de voir combien champs et pâturages sont présents dans le paysage pour comprendre le rôle que ce secteur tient encore dans la région. Pourtant, de par son paysage, ses traditions (notamment culinaires) et son emplacement géographique, au carrefour de l'Europe, c'est aussi un endroit très prisé des touristes, et particulièrement des randonneurs. La région est sillonnées de sentiers et de pistes cyclables, et est en hiver très fréquentée par les skieurs de fond. Je me rappelle avoir souvent observé certains skieurs traverser un paysage entièrement blanc par des températures indécentes et pensé "ah, les courageux"... En effet, certaines soins restent assez isolés et difficile d'accès par mauvais temps, et quand le blizzard souffle, il ne fait pas semblant.

Imaginez cet endroit en hiver, en ski. Ça monte, ça descend, ça monte, ça descend...
Pâturages verdoyants, vaches et forêt sur fond de montagnes : Bienvenue en Forêt Noire. Il faut imaginer de temps en temps le carillons des cloches de vaches alors qu'elles décident de se promener un peu.
On remarque d'une photo à l'autre que niveau climat, même si on s'en sort mieux que la moyenne nationale, on reste en Allemagne, hein.
Mais la Forêt Noire, ce sont aussi des centres balnéaires, avec notamment deux lacs phares du tourisme alémanique, Le Titisee et le Bodensee (que les Allemands partagent avec les Autrichiens et les Suisses, et autrement connu sous le doux nom de Lac de Constance) (Donc si vous vous rappelez de ce que j'ai dis sur le fait que à l'Ouest c'est la vallée du Rhin, vous comprenez que cette région est un carrefour, avec trois pays à ses frontières). N'ayant pas de photo du Bodensee, je vais quand même vous présenter le plus petit mais néanmoins charmant lac Titisee. Alors malgré les apparences, ces photos ont été prises en été, et je vous jure qu'il a fait beau le jour d'avant... Qu'on soit bien clair, hein...

Le Titisee. Et croyez-le ou non, mais il y avait des baigneurs ce jour-là !
Si quelqu'un se demande encore pourquoi je me sens chez moi en Finlande, cette photo répond peut-être à la question.
Le lac vu depuis les abord d'une ferme traditionnelle reconvertie en hôtel (ou un hôtel construit dans le style traditionnel, des fois, on ne sait plus trop) On a en fait une vue assez familière d'un lac sillonné par les pédalos, les kayaks et les voiliers. C'est généralement très calme et reposant, surtout quand on est juste à un café sur la berge et qu'on mange des glaces en profitant du paysage. J'ai un très beau souvenir du Bodensee avec ma tante et ma grand-mère qui font partie de ces chouettes moments indissociables de la région.
Et puis des fois, on a ce genre de villas fort classes qui sortent de nulle part...
Mais la Forêt Noire commence déjà en plaine, et la vue, lorsqu'on s'y trouve, vaut généralement la peine, qu'il fasse beau ou mauvais d'ailleurs. En automne et en hiver, notamment, j'adore quand les nuages sont si bas que les montagnes s'embrument... Quand on roule pour aller à Bräunlingen, le village d'origine de ma mère, on traverse Freiburg et on passe la Vallée de l'Enfer - oui, oui - pour passer le col. Et là, quand la brume avale le sommet des arbres et qu'on doit serpenter le long de la falaise sans y voir goutte, je dois dire qu'il y a de l'ambiance... Et quand enfin on traverse la couche nuageuse et voit les montagnes dépasser de cette mer de brume, c’est juste magique...

Le massif vu de la plaine, avec un champs de blé qui n'a pas encore été fauché.
Autre détail architectural, les églises. Il y en a un paquet, c’est le moins qu'on puisse dire, avec une forte représentation des clochers à bulbe. On trouve aussi beaucoup de petites chapelles un peu partout...

On notera que cette église possède encore son propre rempart médiéval.
Un village en Forêt Noire.

J'aime particulièrement tomber sur des petits hameaux isolés au milieu de nulle part, parfois simplement une ferme perdue dans les bois le long d'une route qui semble n'aller que vers plus de forêts et plus de pâturages.

Photo prise au détour d'une petite route forestière.
La vision familière d'un hameau au fond d'une vallée.
Voilà, je crois, comment je peux vous présenter succinctement la Forêt Noire et ce qu'elle m'évoque. C'est une région à laquelle je suis particulièrement attachée, qui m'évoque les odeurs des bois, les sons des pâturages, les fermes énormes plantées dans ce décor de rêve, des étés verdoyants et des hivers froids et blancs. Un dialecte qui se rapproche dangereusement du suisse allemand, avec des R qui roulent et des "ch" qui raclent au lieu de souffler, et qui pourtant sonne chantant et accueillant. Des printemps où l'on crie Narri Narro dans les rues lors du Fasnacht, des automnes où les forêts sont partagées entre leurs couleurs d'or et de sang et le vert éternel de ses sapins.

C'est tout ça, la Forêt Noire.

Un panorama qui parle de lui-même.

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